À Madagascar, dix candidats à la présidentielle sur treize boycottent le scrutin
À Madagascar, dix candidats à la présidentielle sur treize boycottent le scrutin

À Madagascar, dix candidats à la présidentielle sur treize boycottent le scrutin

À Madagascar, dix candidats à la présidentielle sur treize boycottent le scrutin
Le premier tour de l’élection présidentielle malgache se déroule jeudi. Le scandale lié à l’acquisition de la nationalité française du président sortant Andry Rajoelina et le flou entourant l’organisation du scrutin ont conduit dix des treize candidats à se retirer de la course.
Zeina Kovacs, 16 novembre 2023 à 11h50
Ils sont plusieurs centaines de jeunes à manifester tous les soirs depuis plus d’un mois dans les rues d’Antananarivo, la capitale malgache, pour dénoncer le flou qui entoure l’organisation de l’élection présidentielle.
Le scrutin, qui devait se dérouler le 9 novembre, a été repoussé à cause de la blessure de l’un des candidats de l’opposition, Andry Raobelina, lors de la première manifestation, le 2 octobre dernier. Le 7 novembre, c’était un autre candidat, Jean-Jacques Ratsietison, qui était arrêté, puis libéré quelques heures après un interrogatoire.
Le « Collectif des 10 », organisateur des manifestations, regroupe dix des treize candidats à l’élection refusant de faire campagne, contestant notamment la légitimité du président sortant à se représenter. En juin, un journal de l’opposition révélait qu’Andry Rajoelina avait acquis la nationalité française en secret. Or, d’après la loi malgache, datant de l’indépendance de l’île en 1960, le président doit être malgache et la loi ne permet pas d’obtenir une deuxième nationalité.
Trois jours avant le premier tour, le 13 novembre, le collectif a appelé les électeurs et électrices à ne pas se rendre aux urnes, dénonçant « une supercherie ».
Autre fait marquant dans cette crise : le 8 septembre, le président du Sénat, Herimanana Razafimahefa, a renoncé à occuper ses fonctions de présidence de l’État par intérim le temps de la campagne, un processus censé garantir la bonne tenue de l’élection. Un mois après, le 9 octobre, il avouait avoir subi des pressions du gouvernement pour envoyer sa lettre de renonciation qui avait alors conduit à la nomination du premier ministre, Christian Ntsay, à la présidence pour deux mois, laissant planer le doute sur la partialité de la gestion du scrutin.
Finalement, les sénateurs ont voté en faveur de la destitution de leur président en session extraordinaire convoquée par le premier ministre, accusant Herimanana Razafimahefa d’être atteint de « déficience mentale ».
Le président sortant, Andry Rajoelina, est arrivé pour la première fois au pouvoir en 2009 à la suite d’un coup d’État. En 2013, il avait accepté de ne pas se présenter à la présidentielle à la suite d’un accord politique soutenu par la communauté internationale et censé remédier à la crise démocratique liée à sa prise de pouvoir. Andry Rajoelina est redevenu président en 2018 à l’issue d’une campagne durant laquelle il a promis de redresser économiquement le pays, alors le cinquième le plus pauvre du monde.
Mais l’appauvrissement de la population malgache n’a cessé de croître : 75 % des habitant·es se trouvaient sous le seuil de pauvreté en 2020. En cause, une élite politique et économique travaillant main dans la main, profitant d’une « corruption institutionnalisée » selon l’ONU. À Madagascar, les pots-de-vin sont habituels, et les autorités indépendantes et les ONG de lutte contre la corruption font face au blocage du gouvernement et du pouvoir législatif qui n’agit pas en faveur d’une législation coercitive.
Soupçons de fraude électorale
Andry Rajoelina veut désormais gagner « dès le premier tour », a-t-il annoncé lors de son ultime meeting samedi. Pour ce faire, il a dépensé près de 665 000 euros pour sa campagne entre le 10 et le 28 octobre 2023, d’après une étude de l’ONG Transparency International (TI) à Madagascar, qui tente de lutter contre la corruption sur la « Grande Île ». Problème : outre la somme considérable que représentent ces fonds pour un État comme Madagascar, leur origine est inconnue.
Dans la législation malgache, rien n’oblige à la transparence des dépenses liées aux campagnes électorales. Ketakandriana Rafitoson, directrice exécutive de TI à Madagascar, dit avoir malgré tout alerté les autorités de régulation qui s’étaient engagées à surveiller les dépenses de campagne. « Mais rien n’a bougé depuis », a-t-elle commenté.
En avril dernier, le président de la Commission de contrôle du financement de la vie politique alertait sur le manque de moyens à sa disposition pour contraindre les politiques. Les campagnes électorales malgaches sont donc parmi les plus dispendieuses. En 2013, celle du président élu, Hery Rajaonarimampianina, avait coûté deux fois plus par bulletin de vote que celle de Donald Trump en 2016 aux États-Unis.
Dans son rapport, TI Madagascar s’inquiète en outre d’une fraude électorale massive. Depuis quelques semaines, sa cellule d’investigation et plusieurs témoins sur place observent de longues files d’attente pour adhérer au parti d’Andry Rajoelina, qui proposerait des sommes d’argent en échange d’une inscription. D’autres citoyens se sont vu remettre des cartes à leur nom leur promettant des facilités pour obtenir des produits de première nécessité.
La directrice de TI craint aussi la corruption des chefs de « fokontany », les petits villages malgaches (80 % de la population habite en zone rurale), qui auraient fourni les listes électorales aux partis. Une hypothèse qui laisse craindre à Ketakandriana Rafitoson « une fraude électorale de grande ampleur » le jour J, comme « un bourrage des urnes ou une manipulation massive des PV de décompte des voix ».
Plusieurs observateurs internationaux ont été invités dans les bureaux de vote le 16 novembre. Mais pour la directrice de TI, les tentatives de manipulation « ne sont pas visibles à l’œil nu ». L’ONG aurait préféré que les observateurs soient présents bien avant le jour de l’élection pour observer une « organisation souterraine en amont ».
Interrogé par Mediapart, Solofo Randrianja, directeur du laboratoire de gouvernance et de développement à l’Institut d’études politiques de Madagascar, estime que « ces observateurs viennent, interrogent quelques intellectuels, visitent quelques bureaux de vote et concluent de manière diplomatique que le scrutin s’est déroulé dans le calme ». « Ce sont les mêmes qui s’étonnent que ça explose quelque temps plus tard », ajoute-t-il. Il redoute aussi que des bureaux de vote « fictifs » soient ouverts dans les endroits les plus reculés du pays.
Des enjeux judiciaires
Pour le chercheur, « les deux autres candidats ne font qu’office de figurants » face à Andry Rajoelina. Le président sortant cherche selon lui à continuer de bénéficier de l’immunité présidentielle pour éviter tout problème judiciaire. Le 10 août dernier, sa directrice de cabinet, Romy Voos Andrianarisoa, avait été arrêtée à Londres pour tentative de corruption auprès d’une société minière.
En octobre, Mediapart révélait aussi l’achat par le gouvernement malgache du logiciel d’espionnage Predator par valise diplomatique. Le programme d’infiltration de téléphones avait permis de faire emprisonner le directeur du principal journal d’opposition, La Gazette de la Grande Île, qui avait notamment révélé la double nationalité d’Andry Rajoelina.
Face à ces risques, la présidente de l’Assemblée nationale, Christine Razanamahasoa, pourtant originaire du parti du président sortant, s’est présentée en médiatrice. Elle a proposé un deuxième report du premier tour et demandé l’aide de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). En vain.
Depuis plusieurs semaines, l’Assemblée nationale et le Conseil œcuménique des Églises chrétiennes de la Grande Île (FFKM) ont engagé des consultations de syndicats, partis politiques, intellectuels et membres de la société civile afin de réfléchir aux conséquences d’une potentielle crise électorale. Début novembre, une plateforme a été ouverte pour esquisser le début d’un dialogue auquel Andry Rajoelina était invité pour « discuter des règles permettant de garantir une élection juste et acceptée par tous ».
Pour Solofo Randrianja, la réélection du président sortant ne risque pas d’apaiser la crise démocratique qui atteint la Grande Île depuis plus de dix ans, et un « troisième tour » aura lieu, en vue de l’instauration d’un nouveau système politique. Une hypothèse partagée par Michèle Rakotoson, écrivaine malgache, qui estimait dans une tribune publiée par le journal Le Monde, le 8 novembre, qu’un « mouvement de fond » était en marche pour réfléchir à une « gestion plus saine du pays ».