Voté à l’unanimité, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux sociétés apporte un chiffrage officiel très attendu, mais aussi 26 préconisati...
fiscalité Voté à l'unanimité, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux sociétés apporte un chiffrage officiel très attendu, mais aussi 26 préconisations pour donner plus de transparence, de rationalité et d'efficacité à ces dispositifs.
Les fervents de la politique de l'offre et du « quoi qu'il en coûte » en faveur des entreprises prétexteront sûrement que ce rapport a été rédigé par un sénateur communiste, Fabien Gay (par ailleurs directeur de l'Humanité). Il n'en reste pas moins que ce travail parlementaire publié ce mardi 8 juillet a été voté à l'unanimité par la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, dans un Sénat à majorité de droite.
Ce rapport tombe à point nommé. Une semaine avant que François Bayrou ne détaille ses mesures d'austérité budgétaire pour 2026, il donne indirectement des pistes pour trouver 40 milliards d'euros d'économies dans les dépenses publiques. Car, pour la première fois, un chiffrage étayé et consolidé totalise l'ensemble des subventions, exonérations, ristournes et autres niches fiscales en faveur des entreprises : 211 milliards d'euros ont ainsi été versés en 2023, répartis en 2 252 dispositifs.
« Ce ne sont là que les aides d'État. On a pu les compiler à partir des données recueillies auprès des administrations et avec l'aide de spécialistes des données, explique le rapporteur de la commision, Fabien Gay. À cela il faut ajouter les aides des collectivités territoriales, autour de 2 milliards, et de l'Europe, peut-être 12 milliards d'euros de plus. Mais comme ce sont des estimations, on les a écartées. » Une chose est sûre, ces 211 milliards d'euros représentent bien le premier poste de dépenses de l'État.
« une définition précise des aides publiques »
Il faut dire que, pendant les auditions, l'absence de chiffrage officiel s'est fait ressentir. Quand la lobbyiste Agnès Verdier-Molinié a avancé au doigt mouillé l'estimation de 28 milliards d'euros, le ministre de l'Économie, Éric Lombard lançait, lui, 150 milliards, quand France Stratégie estimait une fourchette haute de 223 milliards en 2019. Le calcul du Sénat se rapproche ainsi des estimations produites par ce service rattaché à Matignon comme des travaux des économistes du Clersé.
« Il est très important d'avoir ce chiffre officiel, avec une définition précise des aides publiques aux entreprises englobant les subventions de l'État, les aides versées par la BPI et l'ensemble des dépenses fiscales et baisses de cotisations ciblées vers les sociétés. Ces rapports parlementaires font foi, notamment car ils sont le fruit d'un consensus », s'est réjoui le fiscaliste et secrétaire général d'Attac Vincent Gath-Drezet. L'économiste Maxime Combes, coauteur du livre Un pognon de dingue, mais pour qui ?, auditionné par la commission, insiste sur le fait que ces 211 milliards d'euros « montrent qu'au cours de ces vingt-cinq dernières années, les aides publiques aux entreprises ont augmenté 4 à 5 fois plus vite que le PIB et que les prestations sociales. Donc, contrairement au discours dominant, ce qui coûte trop cher, c'est le capitalisme français ».
Unanime sur cette évaluation, la commission s'est aussi accordée sur 26 recommandations, fruits de la soixantaine d'auditions effectuées durant cinq mois auprès d'économistes de tous bords, d'une trentaine de grands patrons, de représentants des organisations syndicales, patronales, des administrations, ainsi que des personnalités politiques. « Le seul refus que nous avons subi est celui de François Hollande, à 2 reprises, que nous voulions entendre sur le Cice », a souligné le président de la commission d'enquête, Olivier Rietmann. « Esquive ou dérobade préjudiciable, cela a privé les citoyens d'entendre ses explications sur ce dispositif coûteux », a regretté le sénateur LR, mardi, lors de la présentation du rapport.
un « choc de rationalité »
Au vu de la complexité à chiffrer le montant de ces aides, on ne sera pas étonné que les premières recommandations portent sur une exigence de transparence. Maintes fois au cours des auditions, les sénateurs ont regretté l'absence d'un tableau où les entreprises indiqueraient les aides publiques reçues chaque année. La première consigne est donc de confier à l'Insee la réalisation d'un tel travail. Ce registre pourrait être complété du montant des impôts versés par l'entreprise en France, afin de le mettre en rapport avec les aides perçues. Mais il ne pourrait pas alors être public, au nom des secrets fiscal et des affaires, même si, à part les dirigeants de Google notamment, peu de patrons entendus ont rechigné à confier aux sénateurs les montants perçus, comme les impôts payés. « On recommande aussi que chaque année le détail des aides publiques perçues par l'entreprise soit donné aux élus du personnel, ajoute Fabien Gay. C'est très important qu'il y ait aussi cette transparence et des débats sur ce sujet au sein de l'entreprise. Cela me tient vraiment à coeur. » Une mesure qui ne nécessite qu'un décret.
Pour l'heure, « les aides publiques sont plus transparentes et mieux suivies aux États-Unis qu'en France », s'exclame Maxime Combes. Sans transparence, impossible de répondre à la question que s'est légitimement posée la commission d'enquête : quelle part des subsides publics va aux grands groupes et quelle part aux PME ? Le rapport recommande une rationalisation des 2 252 dispositifs, avec notamment la création d'un guichet unique dans chaque région à disposition des petites sociétés. La crainte est que seules les grandes entreprises, bardées d'aides juridiques, y aient recours. « Aujourd'hui, des cabinets agissent comme des chasseurs de primes d'aides publiques. Les chefs d'entreprise, faute de temps, leur confient ces démarches et ces cabinets se rémunèrent à hauteur de 20 % à 30 % », alertait l'ancien ministre de l'Économie, Arnaud Montebourg, lors de son audition. Ce qui fut confirmé par Patrick Martin, lors de la sienne. « Voilà l'illustration par l'absurde de ce que peuvent générer ces complexités, y compris en termes de perte d'argent public, celui-ci aboutissant dans la poche de ces officines », soulignait le patron du Medef.
Ainsi la commission d'enquête appelle à un « choc de rationalité ». Son rapporteur estime que « les contrôles sont de qualité, mais se limitent au contrôle fiscal. Il y a peu ou pas de suivi ni d'évaluation de ces dispositifs d'aide ». Le président renchérit : « Sur ces 211 milliards d'euros, nous n'avons pas émis de jugement de valeur : comme il n'y a pas d'évaluation réelle, on ne peut dire si cette somme, qui peut paraître énorme, est bien ou mal utilisée. » Les sénateurs plaident pour confier au Haut-Commissariat à la stratégie et au plan la mission de publier un rapport annuel sur les aides versées et de procéder aux évaluations de l'efficacité de celles-ci.
de nouveaux principes forts
De manière générale, la commission appelle à ce que chaque nouveau dispositif soit assorti de conditionnalités et d'objectifs sur lesquels l'évaluer. Elle fixe aussi de nouveaux principes forts : une entreprise condamnée pour une infraction grave ne pourra pas toucher d'aide pendant deux ans ; un groupe qui délocalise devra rembourser celles qu'il a touchées. Fabien Gay demande d'ailleurs que Michelin rembourse les 4,9 millions d'euros de Cice perçus pour l'achat en 2020 de machines pour le site de La Roche-sur-Yon, qui ont été délocalisées avant même d'être déballées.
La commission recommande aussi de retrancher des dividendes distribuables le montant des aides publiques perçues. C'est le PDG de TotalEnergies qui a soufflé l'idée lors de son audition : « Je crois au capitalisme, à son éthique, il faut être cohérent : je ne peux pas percevoir de l'argent public que je redistribue en dividendes. » Autre recommandation de Patrick Pouyanné reprise : la création d'aides sous forme d'avances remboursables en cas de rentabilité du projet, ce qui est beaucoup pratiqué à l'échelle de l'Union européenne. « Je crois que l'État est légitime à intervenir temporairement quand une entreprise traverse des difficultés, comme il l'a fait pour Air France ou PSA, mais qu'il devrait conditionner cette aide pour qu'elle lui soit remboursée une fois l'entreprise revenue à meilleure fortune », avait lancé Patrick Pouyanné en égratignant ses collègues patrons.
« Il y aura un avant et un après cette commission d'enquête », a lancé avec emphase la sénatrice écologiste et membre de ces travaux, Antoinette Guhl. Car ce rapport constitue « un grand pas pour la transparence nécessaire, pour que les citoyens aient confiance dans le rôle de l'État. Et ce travail colossal va nous servir à nous, parlementaires, pour voter les lois et surtout pour évaluer les politiques publiques ». Les sénateurs présents, de tous bords, se sont engagés à l'utiliser lors des prochaines discussions sur les budgets publics et de la Sécurité sociale. Une proposition de loi transpartisane pourrait voir le jour pour porter les principales recommandations du rapport.